Un chemin parmi d'autres

 

Enfance

 

C'est une comme une boîte... vert clair.

 

Je suis au milieu, la peinture est écaillée par des graffitis, des dessins... Souvent ça sent très mauvais, une odeur de poisson pourri qui me donne des haut-le-cœur, l'odeur de la voisine du 6e, une très grande et très grosse dame, les cheveux gras plaqués sur sa tête, je la revoie, toute habillée en noir...

 

J’appuie sur le bouton rond, un joli 8. Léger sursaut, le son du moteur, sensation de s'élever, nouveau sursaut, les portes s'ouvrent sur un grand palier qui distribue 5 appartements et un large escalier central en béton.

 

De ma chambre, on voit la rue par... une porte fenêtre qui donne sur le vide. Une rambarde me protège de la chute. Est-ce que je pouvais passer mes jambes entre les barreaux ??? Je crois me souvenir que oui.

 

Parfois des éclats de voix claquent et résonnent dans la tour habituellement tranquille : le marin-pêcheur du 6e est rentré. J'ai peur.

 

Dehors, entre les bâtiments, un espace de jeux. Il y a des gars, des filles, ils parlent fort, crient... un monde qui n'est pas le mien. Je crois que je n'y ai jamais posé un pied. Pas d'interdiction, je crois, juste un fait.

 

Souvenirs de malaise, de calme, quelque chose de glauque. Ce glauque que je sens toujours dans certains lieux : de la tristesse, de la violence, de la peur... Il parait que j'étais souriante et sage, jamais de bêtises. Moi, avec le recul, je ressens surtout un enfer-mement (merci Thomas d'Ansembourg).
Un souvenir précis : je suis assise sur la table en formica de la cuisine étroite comme un couloir. Je dessine un troupeau de chevaux galopant. Je sens encore ce galop, le vent dans leur crinière, j'entends leur souffle fort et régulier, je sens encore le vent dans mes cheveux...

 

Et celui de l'espoir : voir Wolf, le chien de mon grand-père, un genre de berger allemand beige et gris cendré, venir de Brest me chercher à l'école, tel un chevalier venant enlever sa belle.

 

Pour le reste : c'est le brouillard.

 

Les échappées

 

Mes parents se sont liés avec les voisins du 7e qui ont une caravane dans un champ près de Nostang. Avec Sophie, qui a mon âge, on joue à attraper des grillons, des papillons, on fabrique des pagnes avec des feuilles de châtaigniers et des aiguilles de pin. Les herbes sont hautes, elles bruissent quand on s'avance entre elles, elle sentent si bon ! Je me souviens de sensations délicieuses quand on se pourchassait.

 

L'été, 15 jours de camping en montagne, randonnées dans les alpages. Le sentier monte monte monte puis descend, descend, descend... On marche len-te-ment, Eric, mon jeune frère chouine, grogne, il accroche le lacet du sac à dos de notre père pour être tiré. Parfois, mais vraiment rarement, le sentier est à flan de montagne. Pas de maisons, pas de routes, des lacs, des névés que nous traversons encordés (mon père, ancien chasseur alpin, ne rigolait pas avec la sécurité en montagne).

 

De là-haut, on embrasse les pentes, les pierriers, les pics... on voit loin...

 

Il fait chaud, mais l'air est frais. Le bourdonnement des insectes est très fort, les sifflements des marmottes aussi et des fleurs, partout, denses, hautes, magnifiques : gentianes, astrances, chardons bleus, joubarbes, edelweis parfois... les petits torrents dégringolent sur les pierres en rigolant. L'eau est froide, glacée, elle sort à peine de sous les glaciers. Mon père, si renfermé dans la tour, incarne la joie, ces yeux pétillent et le sourire s'est installé sur tout son visage.

 

Souvenirs de ma grande famille haut-savoyarde ? Bilou, le chien de la ferme voisine qui venait chercher ses croûtes de tomme tous les midis, Castor, l'épagneul breton de Rosières... Oh, je me souviens bien des gens aussi, Mamie, la Vivi, Octavie, était l'aînée de 13 enfants : Yvonne et Nanan, Angèle, Fernand, Bernadette, Dédé, Lucette... Elle cassait la glace du lavoir en hiver pour laver tout le linge. Je me sens plus proche des Phlox, qui fleurissent en boules parfumées et des petits lapins de l'oncle Emile. Avec ma cousine, Corinne, on sort les lapereaux des cages pour leur offrir des petites récrés dans l'herbe. Le jour où j'ai vu mon grand père tuer un lapin, je n'en ai pas parlé, comme d'hab, ... mais, quel choc !!! L'horreur... voilà mon grand-père devenu un bourreau à mes yeux, déjà qu'en bon savoyard, "y causait pas"... D'autres madeleines : le parfum des prunes qui séchaient sur une planche de bois en plein soleil, le gratin de blettes de ma grand-mère... qui savait tellement de choses sur les plantes.

 

Côté Rivoalen : pas de jardin à "Brest mêm'", mais la pêche à la crevette avec mon grand-père Louis à Brignogan. La trouille de le suivre les "énooormes" failles entre les rochers, les jambes dans les paquets de goémons. Mais on pêchait du bouquet !!!

 

Adolescence

 

Collège : des camarades, oui, mais une à la fois, 2 maximum. Peu de souvenirs, sauf en 4e : l'étude de la vie sur un muret de pierres sèches et une sortie d'observation de l'estran.

Lycée : déprime, "ch'ais pas quoi faire"... Le salut doit être du côté de l'autre sexe... l'homme sauveur.

IUT : un souvenir marquant, un reportage photo sur... les plantes sauvages dans la ville (Tours). Ces petites courageuses qui poussent dans le bitume, dans les moindres anfractuosités, comme elles m'émeuvent !

 

Une vie d'adulte

 

Après avoir obtenu une Licence d'Histoire à l'Université de Rennes, j'enchaîne des remplacements de la maternelle au BTS... et oui ! On est très doué à cet âge-là ! "Moulti-tâche" ! Et le CAPES de Documentation m'ouvre la porte de la "stabilité" en 1993 au Collège Max Jacob à Quimper. Plongée dans une cocotte-minute émotionnelle, pardon, un collège. Des années d'efforts pour ne pas être submergée par les émotions et trouver un vague équilibre.
Toujours cette sensation d'être complètement décalée. La peur, la colère, la tristesse... et des efforts immenses pour essayer de faire comme... comme les autres, faire comme si tout était normal, comme si tout allait bien...
Intérieurement, une sensation d'impuissance, sensation d'être fracassée, un brouhaha intérieur, l'impression de se débattre sans cesse pour garder la tête hors de l'eau, pour chercher des solutions ^pour "m'en sortir".

 

 

 

 

Le jardin

 

1994 : La maison est posée sur un champ de maïs, et je n'ai jamais jardiné. Mais je veux le plus beau, le plus vivant des jardins pour mes enfants, c'est... vital, une priorité absolue.

 

2500 m² de terrain. D'abord se protéger du vent : quoi mettre en haie ? Des arbres, envie d'arbres, châtaigniers, charmes, noisetiers... puis un verger, des petits fruits, une petite mare, des arbustes qui fleurissent l'hiver, le printemps, ou éclaboussent l'automne de leurs jaunes, oranges, pourpres... l'entrée... accueillante et parfumée, le tour de la maison... des comestibles : les framboises et les tomates cerises sont souvent croquées avant la cueillette officielle.

 

Les envies de couleurs évoluent : les blancs et les bleus-violets puis les jaunes, les oranges, ensuite les pourpres et les feuillages gris, dorés, et enfin les roses, que je ne supportais pas à mon arrivée. Découverte des nuances de feuillages, de l'infini diversité des écorces. Frustration à l'idée de louper une floraison, de ne pas être assez présente pour profiter de tout. Apprentissage de la patience, de l'éphémère, de l'impermanence.

 

Au bout de 5-6 ans, le jardin a pris forme... et la petite Anne des champs et des alpages, la vraie, la joyeuse, a refait surface avec une envie astronomique de partager cette joie enfantine retrouvée...

 

Anne Lavorel - Mai 2016

 

 

Tenir la route

 

Le jardin, c'était mon paradis, Mon Eden, mon hâvre de paix, de vie, de ressourcement, mon meilleur ami et mon thérapeuthe, et aussi le terrain de jeux (je?) de mes enfants. C'est là que j'ai vécu une expérience d'émerveillement, d'euphorie, un débordement d'amour et le besoin irrépressible de partager.

 

Puis, en 2002, un divorce, un appartement et une descente aux enfers... Cette fois, j'ai dû descendre encore plus profondément en moi-même, dans mes "failles" et faire appel aux thérapies alternatives, au développement personnel-spirituel.

 

J'ai démissionné de l’Éducation nationale et créer mon entreprise d'éco-conception de jardins en 2009.

J'ai alors pris conscience d'un cloisonnement : avec les écolos, les permaculteurs, je me sentais un peu "barrée" ; avec les mediums, les thérapeutes, un peu "bouseuse", incomprise dans ma sensibilité spirituelle à la nature, à l'écologie ; avec les architectes et les paysagistes : naïve, "fleur bleue"...

 

J'ai appris à décloisonner, en acceptant toutes mes facettes.

J'ai appris à densifier mon ancrage, à être plus dans la matière tout en développant ma connexion à mon cœur, à mon âme, aux dimensions subtiles.
L'hyper-sensibilité devient une force quand elle est assumée et que l'on sait poser ses limites.

 

Sur le plan personnel, j'ai cherché (et trouvé !) les moyens de faire avec les épreuves : de nombreux décès (ma mère à 60 ans, mon fils à 20 ans...), des proches malades... , et comme chacun, des blessures de l'âme, des croyances erronées, des mémoires...

 

Aujourd'hui, j'ai confiance en qui je suis, je sais que ma vision holistique du jardin est novatrice, que je suis là pour transmettre une note, une fréquence vibratoire particulière, un état de conscience.
Notre jardin est un révélateur de notre lien au vivant, à la nature.

En faisant des aller--retours entre le jardin extérieur et notre jardin intérieur, nous nous relions.

En agissant en conscience sur l'un, nous influençons l'autre, et vice-versa.

 

Anne Lavorel - 2020